A partir des années 1920, le grand photographe américain Edward Weston, qui prend de plus en plus de plaisir à expérimenter, change de style et se spécialise dans le nu et la nature morte. Il parcourt les États-Unis à la recherche de clichés réalistes, de formes dépouillées et sobres, et ne fait plus que des photographies nettes et piquées avec une très grande précision. Edward Weston nous livre en 1936 cette photo parfaite: parfaite dans sa composition, dans son grain, dans le dépouillement et la sobriété de son sujet, dans l'utilisation de la lumière manifestement naturelle et le jeu des ombres sur les volumes... Rares sont à mon sens les images aussi esthétiquement réussies.
Chaque fois que je vois cette photo, je ne peux m'empêcher de la rapprocher des travaux de Matisse seize ans plus tard, à cette magnifique série des nus bleus exposée à la Biennale de Venise en 1952. Matisse connaissait-il le travail d'Edward Weston? Certainement, les artistes sont toujours curieux des travaux d'autrui, et surtout des recherches de leurs contemporains. Une rétrospective Matisse avait été organisée à New-York en 1927, Matisse avait séjourné aux États-Unis, et avait au début des années 30 travaillé sur La Danse destinée à la Fondation Barnes.
Évidemment, il n'est pas question d'enlever à Matisse la moindre part de l'originalité de son travail et de ses extraordinaires papiers gouachés et découpés. Les volumes ne sont pas exploités de la même façon que chez Weston, Matisse en extrayant des à-plats colorés individuellement abstraits dont le regroupement seul nous indique le sujet de sa composition, Matisse jouant avec notre reconnaissance inconsciente des volumes pour en exalter le sens. Mais cette pose féminine, qui n'a rien en elle-même d'extraordinaire, est sublimée de façon si différente par ces deux grands artistes que le rapprochement s'impose, qui nous montre que la vision esthétique peut prendre des directions divergentes sans s'opposer.
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