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28 juin 2008

Sport, guerre et religion...

Emmanuel LE ROY LADURIE (Figaro - L'Actualité 03/07/1998)

« Le football, écrivait Pierre Bourgeade dans un intéressant ouvrage publié en 1981, c'est la guerre, poursuivie par d'autres moyens.» La guerre? Sans aucun doute, et cela d'autant plus que le « foot» présente, par rapport aux vrais conflits militaires, l'avantage de n'être qu'assez peu meurtrier, malgré quelques «bavures», dont certaines furent spécialement tragiques, comme chacun sait.

La guerre, donc, mais pourquoi pas aussi sa sœur jumelle, la religion, à laquelle l'excellent Bourgeade, dans son analyse, ne semble pas octroyer beaucoup d'importance. Le mot même de « Coupe », Coupe du monde ou Coupe de France, devrait pourtant nous mettre sur la piste. Il n'est pas un chrétien qui ne se souvienne d'avoir entendu à la messe, à l'instant de l'Elévation, l'illustre prière eucharistique : « Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe incomparable, la coupe de mon sang, le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. Vous ferez cela en mémoire de moi. »

La «coupe» eucharistique, hélas, connaît une certaine décadence depuis un siècle ou deux, du fait de la laïcisation ou « sécularisation » des sociétés de notre temps. La coupe sportive, par contre, progresse au rythme même où décline le vase prédécesseur et chrétien. C'est en Angleterre, selon le vieux Pierre Larousse, que les choses ont commencé, voici bien longtemps. Pendant toute une période, les courses britanniques n'eurent d'autre motivation que le plaisir ou la gloire.

Sous le règne de la reine Anne (morte en 1714), les turfistes commencèrent à se passionner pour les récompenses et les paris... Outre certains prix de faible valeur, on distribuait aussi des coupes d'une valeur de 50 livres (au XIXe siècle, 200 ou 300 livres sterling). Parmi les principales coupes distribuées dans les courses de Grande-Bretagne aux propriétaires des chevaux vainqueurs, on citait en premier lieu la coupe d'or Ascot, car les courses d'Ascot étaient le rendez-vous de l'aristocratie, et le souverain s'y rendait avec tout le pompeux appareil de la cour.

Outre cette Golden Coup, il se courait aussi, avant la guerre de Crimée (1854), une autre coupe d'un grand prix : cette coupe d'or donnée en 1844 par l'empereur de Russie Nicolas portait le nom de coupe de l'empereur. Les courses de Goodwood offraient aussi des prix considérables, notamment une coupe d'or : la coupe de Chesterfield était également célèbre. La fondation de ce prix était due à lord Chesterfield, grand amateur de courses. Il faut citer encore la coupe de Dancaster, qui se courait sur l'hippodrome du même nom, dans le comté de York.

Cet usage de distribuer des coupes aux vainqueurs s'est introduit ensuite dans les courses hippiques de la France. Le Grand Prix de Paris de 100 000 francs or était couru au bois de Boulogne dans la saison d'été; il s'accompagnait d'un objet d'art offert par Napoléon III, et cet objet était généralement une coupe.

Nous eûmes aussi vers 1900 la Coupe Davis, compétition internationale de tennis, et à partir de la Première Guerre mondiale, la Coupe de France de football. Ajoutons que tous les lecteurs du dictionnaire Robert ont encore en mémoire la phrase d'un immortel roman de Claude Courchay : « Les rues se vidèrent pour la finale de la Coupe du monde. »

D'une coupe l'autre? aurait dit Céline. La question est en effet posée. La Coupe du monde, encore elle, n'est-elle pas devenue, de nos jours, une espèce d'eucharistie collective, de grand-messe immense et universelle, un culte orgiaque et païen, faisant penser à certaines scènes de King Kong, film justement célèbre ; un culte auquel participent les téléspectateurs par dizaines de millions, cependant que sa rivale, la véritable coupe eucharistique, aurait tendance, elle, à se réfugier dans la pénombre propice des églises, des chapelles, des sacristies.

Le vin de messe continue, certes, chaque jour que Dieu fait, à se transformer, au gré des croyants, en sang de la personne divine crucifiée voici 2000 ans. La Coupe du monde, de ce point de vue hématologique, n'est pas toujours en reste, et il lui arrive, de temps à autre, ce qui n'est pas le cas lors de nos messes de villages, de passer de la métaphore sanguine à la réalité cruelle du saint sacrifice du foot. De l'un des matchs les plus essentiels disputés au cours de ces dernières semaines, on retiendra surtout que fut tristement répandu, à Lens, par les soins de voyous venus du Nord, le sang d'un gendarme assassiné, ou peu s'en fallait.

La Coupe du monde aurait-elle évincé la coupe du Christ ? Et si oui, l'humanité a-t-elle vraiment gagné au change ?

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